Alain Giresse a été « élevé » au Jock, la madeleine de Proust des bordelais

L’entreprise bordelaise Jock et sa célèbre crème ont 87 ans. Une marque qui évoque forcément des souvenirs à plusieurs générations de Girondins. Raymond Boulesque, son fondateur, a été bien inspiré en créant cette préparation à base de poudre de céréales. Aujourd’hui, ses descendants ne dirigent plus les destinées de l’usine de Brazza mais l’ancrage en bord de Garonne perdure
« J’adorais quand un soir, en famille, on s’improvisait un dîner façon petit déjeuner ou goûter gourmand. On se faisait une crème Jock, en quelques coups de cuillère en bois. Et là, le plaisir était de se jeter dessus avant même qu’elle refroidisse. Il suffisait d’attendre que la petite peau se forme à la surface… je la dégustais délicatement en me brûlant un peu la langue tandis que la crème dessous fumait », lâche Anna, la quarantaine bondissante, le souvenir et l’eau à la bouche.
Valérie, 50 ans, acquiesce, les yeux rieurs. « C’était mon petit bonus quand j’étais malade. Je ne voulais rien avaler. Mon père me faisait une petite crème. Et je jouais les grandes convalescentes, tandis que ma cuillère plongeait avec énergie dans le pot. Tellement plus sympa que le bouillon de poule… »
C’est la madeleine de Proust des Bordelais. La boîte orange et jaune que toute cuisinière ou tout cuisinier qui se respectait avait dans son placard en solution de secours quand l’appel des fourneaux se faisait faiblard.
Dans les pharmaciesDes générations entières de Girondins ont été « élevées » au Jock. Et ce n’est rien de le dire puisque l’histoire de la crème et de la marque est née en 1938, quand Raymond Boulesque, chimiste rarement à court d’inspiration, met au point dans ses tubes à essai une crème 30 % moins sucrée que les existantes. Et ce, en remplaçant ce sucre par un cocktail de céréales (orge, blé, maïs). La crème aux sucres lents voyait le jour, avec la Garonne pour berceau.
La poudre fabriquée de manière artisanale dans une cave du quartier des Capucins était versée dans des sacs en papier et transportée en triporteur dans les épiceries et les pharmacies. Pharmacies ? Le Jock, particulièrement nourrissant, était en effet proposé en bouillie aux bébés ayant besoin de prendre du poids et peu enclins à ouvrir le bec.
La crème survit à la Seconde guerre mondiale… « Ma mère m’a même raconté qu’il y avait à Bordeaux, des tickets de rationnement avec l’équivalent Jock », aime à rappeler Jean-Philippe Ballanger, dernier descendant de papi Raymond à avoir présidé aux destinées et au développement de l’entreprise.
Sur les fesses de l’Union Bordeaux Bègles
Thierry David / SO
Depuis fin 2022, la saga familiale s’est terminée. C’est le fonds d’investissement lyonnais Aquasourça et le fonds néoaquitain Aquiti qui ont repris l’affaire. Jock continue de s’élever dans la ville qui l’a vu naître, dans l’usine construite en 1999, quai de Brazza. La marque s’affiche sur les fesses de Lucu, Jalibert, Bielle-Biarrey, Penaud et de leurs coéquipiers rugbymen de l’Union Bordeaux-Bègles.

Thierry David / SO
Le goût de l’enfance continue de chatouiller les palais quand de nouvelles recettes imprègnent ceux des nouvelles générations. La boutique de l’usine est toujours là. L’occasion de brasser les souvenirs, de revoir l’ombre de Raymond, avec sa moustache et son chapeau, d’admirer la tête de Giresse, imprimée sur les paquets du temps où il portait le maillot bordelais… Et, pour que la petite histoire laisse aussi son empreinte dans les placards, la marque édite des boîtes en fer façon vintage, pour les collectionneurs… de demain.
Magasin d’usine Jock, 190 quai de Brazza, Bordeaux.
SudOuest